Les images des Grecs et des Occidentaux dans la littérature bulgare aux XVIIIe – XIXe siècles
Au cours de la formation de la mythologie nationale bulgare apparaissaient les figures de l’Autre, auxquelles nous nous identifiions et nous nous comparions. En tant que mythologie secondaire, la mythologie nationale redéfinissait constamment le sujet de l’identité de l’Autre et déterminait, suivant le mécanisme universel de formation des images mutuelles, les traits changeants de l’image de nos voisins ou des peuples plus éloignés.
L’évolution de l’image des Grecs et des Occidentaux aux XVIIIe – XIXe siècles illustre d’une façon très caractéristique les manifestations de ce mécanisme qui fonctionnait dans toutes les sociétés.
Au XVIIIe siècle, dans la conscience du Bulgare, les Grecs commençaient à se détacher de la communauté des chrétiens orthodoxes et parallèlement à la formation de l’identité nationale bulgare, ils devenaient l’image de l’Autre l’identité duquel se formait sur des critères différents des critères religieux. Dans la constitution de l’image de l’Autre, un rôle très actif joueaient les sujets historiques, qui bien souvent étaient enrichis de certains mythes. On pouvait observer dans certains cas une attitude sélective vis-à-vis du passé, permettant la glorification du Sien, son histoire, ses souverains, sa culture et son peuple. Dans la plupart des cas, la mise en évidence des avantages du Sien s’effectuait au préjudice de l’image des Autres, qui devaient avoir des souverains moins auguste et glorieux, des États plus faibles du point de vue militaire, des représentants de la communauté ethniques moins attrayants. Cette opposition qui avait conduit logiquement à l’opposition des images est peut être la plus tangible en ce qui concerne l’image du Grec, qui dans l’époque de l’affirmation nationale des Bulgares s’était vu chargée des traits les plus négatifs en raison des dangers que représentait l’hellénisation. La société grecque avait précédé les Bulgares dans les nouveaux rapports socio-économiques et dans la formation de l’identité nationale grecque. C’est pourquoi les porteurs de cette dernière étaient devenus pour une certaine période l’Ennemi numéro un pour les idéologues du mouvement national bulgare. Parallèlement à l’image négative du Grec, l’image du Grec dans le rôle de l’Autre prestigieux continuait à exister jusqu’au milieu du XIXe siècle. Pour nombreux intellectuels bulgares cette image positive du Grec était un exemple à suivre dans le développement culturel, social et économique.
L’image des Occidentaux est hétérogène et polyvalente, mais prise dans son ensemble, elle est beaucoup plus positive de l’image des Grecs auxquels nous nous mesurons et nous nous comparons pour raffermir notre sentiment national ou bien pour justifier nos aspirations. Pour les Bulgares, les Occidentaux étaient l’Autre plus éloigné, et dans la formation de son image l’affrontement des plate-formes nationales ne jouait pas un rôle décisif, comme dans l’élaboration de l’image de nos voisins balkaniques. Avec l’affaiblissement du critère religieux d’identification au XIXe siècle, les Occidentaux entraient de plus en plus souvent dans la catégorie de l’Autre prestigieux et se transformaient en modèle, porteur des caractéristiques que les idéologues bulgares s’efforçaient de former chez leurs compatriotes. Les positions de certains États occidentaux favorables à la Porte reflétaient toutefois sur les traits négatifs de leurs images dans les textes bulgares surtout après la guerre de Crimée.
La formation de l’image des Grecs et des Occidentaux montre une tendance à la sélectivité car, guidé par ses propres conceptions, chaque auteur posait l’accent sur un ou autre trait de l’image de l’Autre. Cette image n’est pas objective et ne correspond pas toujours à la réalité, elle est schématique et a une valeur cognitive fragmentaire. Cette image est chargé de traits très positifs ou très négatifs, qui dépendaient des projets éducatifs, scientifiques ou politiques des auteurs des textes qui nous ont servi de source.